lundi 10 octobre 2011
Gilberte, une artiste d’avant-garde: Un conte pour l'édification des jeunes filles avant-gardistes
Il était une fois une petite fille qui se promenait un peu partout, dans un lieu magnifique et étrange, très loin d’ici, que vous ne verrez jamais. Pourquoi donc ne pourrais-je le voir, demandez-vous? Parce que c’est un pays magique. Point final. Bon. Qu’est ce que ce pays avait de magnifique et d’étrange? Il était fluorescent et peuplé de petits nains joviaux qui claquent des talons dans les airs, comme dans les films, sur une petite musique entrainante, que certains diraient insipide, comme tous ces nains énervés, toujours heureux et joyeux, comma ça, stupidement. Voyez? Eh bien, dans ce pays vivait une petite fille nommée Gilberte. Elle était triste et elle demeurait chez elle, faisant tout un tas de niaiseries, sans plaisir, amère. Elle avait toujours été comme ça. Sa maman lui avait appris à tricoter des bas et des mitaines pour l’hiver. Le samedi elle changeait de couleur. Elle se couchait à 21h00 tapantes et mettait ses pantoufles à gauche de son lit, avant d’aller rejoindre le pays des rêves. Parfois, elle se levait et faisait trois tours dans sa chambre, sur la pointe des pieds, pour ne pas réveiller ses parents. Une fois, elle se livrait à ce genre de manège, mais elle heurta sa commode et fit se lever son père. Gilberte! Gilberte! C’est toi? Son père reniflait fortement et elle l’entendait se vêtir et se démener jusqu’à sa chambre en criant son nom. Gilberte retourna se coucher et fit semblant d’être dans un sommeil profond au moment où son père ouvrit la porte. Elle entendit son souffle près d’elle, dans l’obscurité; elle demeura complètement immobile. Son père rebroussa chemin. Le lendemain, on la questionna, elle changea de sujet imperceptiblement, entrainant la conversation sur le cours du blé et sur la politique étrangère de la Tchécoslovaquie. C’était sa façon de vivre, la seule manière de s’occuper. Un jour, sa maman lui avait raconté l’histoire de cette jeune fille écervelée qui sortait toujours et qui se fit violer par trois bœufs, autant d’ânes, un nombre incertains de créatures enchantées et trois ou quatre sagouins du coin; cela illustrait parfaitement la nécessité et le bon sens d’employer ses jours de la façon dont Gilberte l’avait appris. Bien qu’ardue, la voie qui menait à ce qu’il fallait faire pour se tenir éloigné du danger promettait toutes sortes d’allégresses, disait sa maman, qui se souvenait à ce moment là des rapprochements qu’elle avait eus avec son mari. Le monde est rempli de dangers et il n’y a qu’une manière de les éviter, disait son père, il faut faire comme les autres et respecter les règles, affirmait-il en se brassant les couilles. Évidemment, personne ne savait ce qui arrivait si on ne respectait pas les règlements, sauf peut-être le petit chaperon rouge, Cendrillon et les autres connasses. Gilberte se parlait ainsi à elle-même, car elle se trouvait dans la période que l’on appelle la crise d’adolescence. Elle s’était fait teindre les cheveux en violet, faisait des «fingueurs» à tout le monde et disait «chiller» ainsi que divers mots dont le sens demeure obscur… Quoiqu’il en soit, on comprend que les choses allaient mal. Gilberte avait un goût vague et immense de quelque chose, mais elle ne savait pas quoi. Un jour sa maman se trouvait au salon, écoutant Les Saisons de Clodine, et s’exclamant, croyant avoir découvert un moyen de faire cesser la morosité de Gilberte, qu’elle voyait approcher : «viens ma fille, allons faire un beau bouquet de fleurs séchées». Gilberte tourna les talons en faisant tourner son doigt autour de son oreille et en émettant des sons qui n’avaient, en apparence, aucune signification. Les fleurs séchées ça me fait chier, pensait-elle. Opinion qui se défend. Un jour Gilberte décida de ne plus faire ce qu’elle devait faire, pour voir ce qui allait se passer. Elle ne se lava plus sept jours et sept nuits durant, disait des grossièretés devant la visite et sortait par la fenêtre de sa chambre, la nuit. Rien n’était advenu de particulier, elle avait vu bon nombre de gens qu’elle jugea normaux, sauf ce gars avec des grandes dents siffleuses, et elle ne se fit pas violer mais rencontra un soulard qui avait un membre appréciable et qui s’en portait bien. Gilberte était parfaitement heureuse dans son nouveau mode de vie et elle parvenait maintenant à jouir avec insouciance des plaisirs de la vie, oubliant presque ce que ses parents lui avaient dit au sujet des dangers d’une telle existence. Toutefois, notre héroïne fut vite rattrapée par les événements. Un jour qu’elle revenait d’un lieu de débauche, elle échappa ses clefs en embrassant un gros sagouin qui lui avait servi d’amant et, sans s’en apercevoir, elle poursuivit sa route jusqu’à chez elle, car l’aube arrivait et ses parents allaient découvrir la situation dans laquelle elle était. Après un long périple de trente-trois minutes et trente-trois secondes, elle parvint jusqu’à la demeure familiale, mais lorsqu’elle voulut ouvrir la porte, elle se rendit enfin compte qu’elle avait perdu ses clefs. Malheur, le malheur annoncé prenait forme. Tout devenait noir dans l’esprit de Gilberte, qui entendait déjà son papa discourir du bas ventre, dans sa chambre. Les parents, en panique, descendirent au premier palier et sortirent sur le balcon, après avoir inspecté les lieux; notre héroïne eut juste le temps de plonger dans les hautes herbes. On criait la perte et on imaginait le pire pour la jeune femme, dans cet univers fluorescent et bizarre, sans pitié, qu’était le lieu dont je vous parle. Gilberte ne savait pas quoi faire pour se sortir du pétrin, comprenez… C’est alors qu’elle eut une idée géniale. Elle alla rassembler, dans la forêt alentour, bon nombre d’éléments hétéroclites, du foin, de la boue et des petits animaux, qu’elle assomma avec art; elle mit le tout dans un chaudron naturel, sorte de cavité rocheuse, voyez, ajouta de l’eau, tapa vigoureusement le tout avec une grande branche, avant de cracher le sang qu’elle avait extrait des petits animaux. Elle mit le feu au tout, tourna trois fois autour en chantant des chansons. Sans perdre de temps, elle s’empara de la chose et, précipitamment, se rendit chez elle, à la rencontre de ses parents, portant à bout de bras son œuvre, qui avait l’air d’une grosse chiasse. Elle donna le tout à ses parents, expliquant qu’elle était désormais une artiste d’avant-garde et qu’ils ne pouvaient pas comprendre son œuvre, œuvre qu’elle jeta dans leurs bras avec désinvolture. Voyant l’hébétude profonde de ses aïeux, elle alla jusqu’à les gifler, sans motif, mettant cela sur le compte de son tempérament artiste. La maman de Gilberte crut que sa fille s’adonnait à une forme raffinée de confection de bouquet de fleurs séchées, durant la nuit, comme dans Les Saisons de Clodine; le papa de l’héroïne crut, quant à lui, que tout allait bien, car il n’avait jamais rien compris aux femmes et s’en remettait au jugement de son épouse. Aussi, Gilberte pu continuer de faire ce qu’elle voulait et elle su que la sécurité n’est rien sans le confort et le plaisir, grosso modo. Pour ceux qui auraient noté que Gilberte sortait par la fenêtre et que la perte de ses clefs n’affectait en rien son retour, je dirais qu’elle était fort excitée et qu’elle ne se souvenait plus de ce fait, comme cela advient quelquefois dans des situations critiques.
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