Fabrication de textes

lundi 10 octobre 2011

Gilberte, une artiste d’avant-garde: Un conte pour l'édification des jeunes filles avant-gardistes


Il était une fois une petite fille qui se promenait un peu partout, dans un lieu magnifique et étrange, très loin d’ici, que vous ne verrez jamais. Pourquoi donc ne pourrais-je le voir, demandez-vous? Parce que c’est un pays magique. Point final. Bon. Qu’est ce que ce pays avait de magnifique et d’étrange? Il était fluorescent et peuplé de petits nains joviaux qui claquent des talons dans les airs, comme dans les films, sur une petite musique entrainante, que certains diraient insipide, comme tous ces nains énervés, toujours heureux et joyeux, comma ça, stupidement. Voyez? Eh bien, dans ce pays vivait une petite fille nommée Gilberte. Elle était triste et elle demeurait chez elle, faisant tout un tas de niaiseries, sans plaisir, amère. Elle avait toujours été comme ça. Sa maman lui avait appris à tricoter des bas et des mitaines pour l’hiver. Le samedi elle changeait de couleur. Elle se couchait à 21h00 tapantes et mettait ses pantoufles à gauche de son lit, avant d’aller rejoindre le pays des rêves. Parfois, elle se levait et faisait trois tours dans sa chambre, sur la pointe des pieds, pour ne pas réveiller ses parents. Une fois, elle se livrait à ce genre de manège, mais elle heurta sa commode et fit se lever son père. Gilberte! Gilberte! C’est toi? Son père reniflait fortement et elle l’entendait se vêtir et se démener jusqu’à sa chambre en criant son nom. Gilberte retourna se coucher et fit semblant d’être dans un sommeil profond au moment où son père ouvrit la porte. Elle entendit son souffle près d’elle, dans l’obscurité; elle demeura complètement immobile. Son père rebroussa chemin. Le lendemain, on la questionna, elle changea de sujet imperceptiblement, entrainant la conversation sur le cours du blé et sur la politique étrangère de la Tchécoslovaquie.  C’était sa façon de vivre, la seule manière de s’occuper. Un jour, sa maman lui avait raconté l’histoire de cette jeune fille écervelée qui sortait toujours et qui se fit violer par trois bœufs, autant d’ânes, un nombre incertains de créatures enchantées et trois ou quatre sagouins du coin; cela illustrait parfaitement la nécessité et le bon sens d’employer ses jours de la façon dont Gilberte l’avait appris. Bien qu’ardue, la voie qui menait à ce qu’il fallait faire pour se tenir éloigné du danger promettait toutes sortes d’allégresses, disait sa maman, qui se souvenait à ce moment là des rapprochements qu’elle avait eus avec son mari. Le monde est rempli de dangers et il n’y a qu’une manière de les éviter, disait son père, il faut faire comme les autres et respecter les règles, affirmait-il en se brassant les couilles. Évidemment, personne ne savait ce qui arrivait si on ne respectait pas les règlements, sauf peut-être le petit chaperon rouge, Cendrillon et les autres connasses. Gilberte se parlait ainsi à elle-même, car elle se trouvait dans la période que l’on appelle la crise d’adolescence. Elle s’était fait teindre les cheveux en violet, faisait des «fingueurs» à tout le monde et disait «chiller» ainsi que divers mots dont le sens demeure obscur… Quoiqu’il en soit, on comprend que les choses allaient mal. Gilberte avait un goût vague et immense de quelque chose, mais elle ne savait pas quoi. Un jour sa maman se trouvait au salon, écoutant Les Saisons de Clodine, et s’exclamant, croyant avoir découvert un moyen de faire cesser la morosité de Gilberte, qu’elle voyait approcher : «viens ma fille, allons faire un beau bouquet de fleurs séchées». Gilberte tourna les talons en faisant tourner son doigt autour de son oreille et en émettant des sons qui n’avaient, en apparence, aucune signification. Les fleurs séchées ça me fait chier, pensait-elle. Opinion qui se défend. Un jour Gilberte décida de ne plus faire ce qu’elle devait faire, pour voir ce qui allait se passer. Elle ne se lava plus sept jours et sept nuits durant, disait des grossièretés devant la visite et sortait par la fenêtre de sa chambre, la nuit. Rien n’était advenu de particulier, elle avait vu bon nombre de gens qu’elle jugea normaux, sauf ce gars avec des grandes dents siffleuses, et elle ne se fit pas violer mais rencontra un soulard qui avait un membre appréciable et qui s’en portait bien. Gilberte était parfaitement heureuse dans son nouveau mode de vie et elle parvenait maintenant à jouir avec insouciance des plaisirs de la vie, oubliant presque ce que ses parents lui avaient dit au sujet des dangers d’une telle existence. Toutefois, notre héroïne fut vite rattrapée par les événements. Un jour qu’elle revenait d’un lieu de débauche, elle échappa ses clefs en embrassant un gros sagouin qui lui avait servi d’amant et, sans s’en apercevoir, elle poursuivit sa route jusqu’à chez elle, car l’aube arrivait et ses parents allaient découvrir la situation dans laquelle elle était. Après un long périple de trente-trois minutes et trente-trois secondes, elle parvint jusqu’à la demeure familiale, mais lorsqu’elle voulut ouvrir la porte, elle se rendit enfin compte qu’elle avait perdu ses clefs. Malheur, le malheur annoncé prenait forme. Tout devenait noir dans l’esprit de Gilberte, qui entendait déjà son papa discourir du bas ventre, dans sa chambre. Les parents, en panique, descendirent au premier palier et sortirent sur le balcon, après avoir inspecté les lieux; notre héroïne eut juste le temps de plonger dans les hautes herbes. On criait la perte et on imaginait le pire pour la jeune femme, dans cet univers fluorescent et bizarre, sans pitié, qu’était le lieu dont je vous parle. Gilberte ne savait pas quoi faire pour se sortir du pétrin, comprenez… C’est alors qu’elle eut une idée géniale. Elle alla rassembler, dans la forêt alentour, bon nombre d’éléments hétéroclites, du foin, de la boue et des petits animaux, qu’elle assomma avec art; elle mit le tout dans un chaudron naturel, sorte de cavité rocheuse, voyez, ajouta de l’eau, tapa vigoureusement le tout avec une grande branche, avant de cracher le sang qu’elle avait extrait des petits animaux. Elle mit le feu au tout, tourna trois fois autour en chantant des chansons. Sans perdre de temps, elle s’empara de la chose et, précipitamment, se rendit chez elle, à la rencontre de ses parents, portant à bout de bras son œuvre, qui avait l’air d’une grosse chiasse. Elle donna le tout à ses parents, expliquant qu’elle était désormais une artiste d’avant-garde et qu’ils ne pouvaient pas comprendre son œuvre, œuvre qu’elle jeta dans leurs bras avec désinvolture. Voyant l’hébétude profonde de ses aïeux, elle alla jusqu’à les gifler, sans motif, mettant cela sur le compte de son tempérament artiste. La maman de Gilberte crut que sa fille s’adonnait à une forme raffinée de confection de bouquet de fleurs séchées, durant la nuit, comme dans Les Saisons de Clodine; le papa de l’héroïne crut, quant à lui, que tout allait bien, car il n’avait jamais rien compris aux femmes et s’en remettait au jugement de son épouse. Aussi, Gilberte pu continuer de faire ce qu’elle voulait et elle su que la sécurité n’est rien sans le confort et le plaisir, grosso modo. Pour ceux qui auraient noté que Gilberte sortait par la fenêtre et que la perte de ses clefs n’affectait en rien son retour, je dirais qu’elle était fort excitée et qu’elle ne se souvenait plus de ce fait, comme cela advient quelquefois dans des situations critiques.     

vendredi 7 octobre 2011

Popi, le petit ours nauséabond: un conte édifiant pour les bébés ours


Il était une fois, dans une contrée lointaine, un petit ours nommé Popi. Popi était très triste car il n'avait pas d'amis. Très jeune, il dut quitter ses parents et sa maison, car il sentait si fort que ses voisins s'étaient plaints à la ville. Quand il passait dans la rue, les gens se mettaient une main au visage, l’air contorsionné par un dégoût profond. Il était toujours seul, tout en étant jamais seul, les gens le fuyaient mais sentaient son approche à mille lieues; son odeur était insupportable. Ceci, par contre, avait fait en sorte que Popi avait toujours été un bon garçon, n’ayant jamais pu commettre quelque méfait que ce soit sans qu’on le sache. Une seule fois, il avait tenté de voler une pomme dans le jardin de M. Dar, mais celui-ci alla aussitôt voir ses parents et le malfrat fut durement châtier. Aussi, notre jeune héros était-il d’une moralité irréprochable, par la force des choses. Sous le poids des pressions populaires, le maire avait dû adopter une loi permettant d’exclure tous les ours qui dégageaient une odeur propre à perturber l’ordre public; lors d’une grande assemblée, on chassât Popi une fois pour toute et depuis ce temps, il va tête basse par les chemins. Son périple fut long et pénible, il se nourrissait d’herbes et de mets de fortune, il dépérissait tranquillement, il devenait maigre et faible. L’eau lui manquait sur la route, parfois il s’arrêtait aux chaumières qu’il rencontrait, mais les habitants lui donnaient souvent des coups de bâton et le chassaient avec dégoût. Un jour, il rencontra Louis la corneille, alors qu’il avait perdu conscience sur le bord d’une route déserte, complètement déshydraté. Louis la corneille lui pinça le nez de son grand bec et le sortit de sa torpeur. «Ah, petit ours, comme tu sens le diable! C’est écœurant!». Mais Louis persista à le tenir en éveil, prenant de l'altitude lorsque sa nausée le prenait trop fort. Il lui montra le chemin jusqu'au ruisseau, tourbillonnant au dessus de sa tête en lui donnant des directives. Quand Popi parvint au ruisseau, il but l'équivalent de trois tonneaux d'eau douce et s'endormit à côté d’un gros rocher. Louis la corneille le réveilla le lendemain, complètement vert, ayant vomi son saoul pendant que Popi dormait. S'étant éloigné durant son sommeil, il avait pu récupérer et venait tenir compagnie à son nouvel ami. Il le priait de l’aider à son tour et lui demanda de se rendre dans la caverne, derrière le rocher, où il y avait quelques fruits qu'il pu manger afin d'étancher sa faim. Popi, qui n'avait jamais eu d'amis, faillit en pleurer d’émoi et s’empressa de se rendre à l'endroit désigné. Dans la caverne il trouva une myriade de corbeilles remplies à craquer de baies et de fruits de toutes sortes. Il prit donc les corbeilles une à une et les disposa selon les directives de Louis, au bord du ruisseau. Lorsqu’il eut terminé, la nuit tombait déjà et Louis la corneille, qui tentait de se défaire d’un noyau inopportun qui s’était logé entre ses molaires, lui tint à peu près ce langage : « laisse moi appeler et te présenter mes amis qui seront sûrement heureux de se joindre à notre festin». Popi était tout heureux et frétillait sur place à la perspective de cette nouvelle société qui saurait l’aimer comme il était. Louis la Corneille prit son envol avec lourdeur et disparu brièvement, avant de revenir avec une horde croassante de corneilles; mais dès que les amis de Louis furent à portée de l’odeur pestilentielle que dégageait Popi, ils se mirent à battre des ailes frénétiquement, et Popi voyait des plumes tomber tristement à ses pieds. Mais Louis la corneille, grâce à quelques mots, au bout d’un moment, fit revenir la bande vers le petit ourson prostré d’amertume. Des salutations fusaient de toutes parts et les corneilles plongeaient dans les corbeilles gloutonnement, répandant le contenu, tant elles semblaient affamées. Lorsque le festin prit fin, Louis délibéra avec ses compagnons qui s’apprêtaient à s’envoler de nouveau loin de Popi, qui les regardait, suppliant. Louis revint avec ses amis et dit à notre héros, dont le cœur chaud était ému, une fois de plus, de cette compagnie: «Vois donc s'il ne reste pas quelques victuailles dans la caverne car mes amis et moi avons encore un creux dans l'estomac, après nous te montrerons quelque jeu». Alors tous les compagnons de Louis se posèrent, sautillant d’entrain sur leurs petites pattes. Popi, tout excité, se rendit sans plus attendre dans la caverne, les regards approbateurs l'ayant empli de félicité. Quel ne fut pas sa surprise quand il rencontra, à l’entrée de la caverne, un grand sanglier rugissant qui, sans attendre, constatant le méfait qui avait eu lieu antérieurement, le battit comme blé vert. Soudain, la troupe des corneilles éclata d’un rire strident et s’envola dans la confusion, tout en narguant le naïf petit ours qui croyait qu’il pouvait ainsi se faire des amis. Lorsqu’il reprit conscience, Popi pleura tout le jour et chemina péniblement le long du ruisseau qu’il ne voulait plus quitter. Tenant ses reins douloureux et ses côtes, c’est péniblement qu’il avançait, souvent il s’arrêtait, seul, au bord d'un ruisseau, et pleurait, provoquant instantanément le saut de tous les crapauds qui le fuyaient. Les corneilles revinrent et le suivirent; elles venaient croasser au-dessus de lui, en se moquant de son arrière train nauséabond, ce qui contraignait Popi à partir, toujours plus loin, suivant le rivage, pour échapper aux remarques désobligeantes des oiseaux; tous les êtres s’enfuyaient à son approche, blessant profondément Popi à chaque fois. Les corneilles revenaient et voltigeaient autour de lui, ne s'arrêtant qu'à de rares occasions, quand il croisait un arbre à fruits, afin d’y picorer quelques grains. Durant plusieurs années il en fut ainsi, au moins une fois par jour, Popi s’arrêtait, complètement briser par les sarcasmes de sa suite et allait au bord du ruisseau sangloter. Quand l'onde redevenait lisse et que la brusque fuite des habitants de la rive disparaissait de la surface, le ruisseau devenait clair comme un miroir, renvoyant à Popi une image familière, la sienne, que parfois, comme par magie, une brise venait caresser et réconforter dans le mouvement doux et onduleux qu’elle provoquait sur la surface. Et Popi reprenait son chemin, après s’être ainsi consolidé en lui-même, bien décidé, chaque fois, à ne plus se laisser atteindre par les moqueries des corneilles. Parfois, il devenait si exaspéré, qu’il levait les yeux au ciel et criait de toutes ses forces sa haine; il sautait, tentant de saisir au vol les amis de Louis qui, à dessein de le narguer et de le réduire à l’impuissance, s’amusaient à lui donner espoir en volant plus bas afin de l’épuiser; un jour, Popi se blessa en trébuchant sur une pierre, En faisant ce manège désespéré. Il se fracassa la tête de telle manière que l’abondance du sang qui s’échappait de sa blessure fit en sorte que Louis la Corneille et sa bande le laissèrent pour mort. Après trois jours et trois nuits, Popi s’éveilla de lui-même et, difficilement, se rendit au ruisseau afin de nettoyer sa tête. Comme d’habitude, un mouvement brusque et instantané agitait la surface, avant de s'éteindre, en laissant le ruisseau lisse. De petits nuages rouges se répandaient dans l'eau, au fur et à mesure que Popi se nettoyait. Quand il eut terminé, il demeura pensivement la tête au-dessus du ruisseau, où coulait désormais son propre sang. Il contemplait son image qui lui fit imperceptiblement, presque, un sourire grimaçant. Popi regarda attentivement, son reflet se détournait. Popi osa une parole; le ruisseau parla. «Je suis l’image magique que tout ce temps tu pus seul aimer et je t’offre maintenant de réaliser un vœu de ton choix». Popi examina les alentours pour voir s’il ne s’agissait pas d’un canular, mais il ne trouva rien; aussi répondit-il à l’image : «je voudrais être comme les autres». L'image répondit : «ton vœu sera exaucé quand tombera le jour». Popi en fut si ému qu’il tenta sottement d’embrasser la surface en pleurant de joie. Le jour tomba, Popi s’imaginait qu’il allait perdre cette odeur qui fut comme une malédiction, mais, plutôt, son cœur s’emplit d’une haine solaire qu’il n’avait jamais ressentie. Fou de rage, il leva les yeux au ciel en hurlant sa peine sans bornes et, furibond, il se mit à courir comme un fou loin du ruisseau. Popi n’était plus un ourson et choisit une vie de vagabondage. La nuit, il se promenait près dans agglomérations urbaines afin d’y ventiler avec un flegme terrifiant les gaz fétides et nocifs dont ce qu’on lui avait reproché n’était que l’infime évocation. Les femmes enceintes perdaient leur bébé et une aura verdâtre enserrait les villes où l’on ne trouvait plus qu’horreur et désolation. Notre héros avait bien changé, il s’était endurci, et c’est sans scrupule, aucun, et avec une nonchalance machiavélique, sans doute, qu’il pétait dans les prés verdoyants, tout en constatant sans frémir la vie qui s’éteignait au contact de ses poisons délétères.

jeudi 6 octobre 2011

La mort, c'est pas terrible


  • Alors là, j'lui disais de se la fermer, mais y continuait pareil; ça fait que
  • Qu'est-ce que c'est ça!?
  • Quoi?
  • Ça! Là!
  • Ça?
  • Oui! Oui!! Qu'est-cé ça!?
  • J'sais pas moé, une sorte de sac de feuilles...
  • Ben non! Tu voués ben que ç'est pas un sac à vidange ça! Tu voué ben le bras qui dépasse calvinse!!
  • Bah! J'ai pas mes lunettes, pis j'vois mal le soir...
  • Ben regarde comme faut!
  • Bah je regarde là... je regarde...
    Le gars va voir.
  • C'est ben trop vrai!
  • Qu'est-ce qu'il a?
  • J'sais pas, y bouge pu...
  • Y'est mort!!!??
  • J'sais pas, entk y bouge pu.
    Le gars donne trois-quatre coups de pied sur le cadavre.
  • Ouin...Y bouge pu.
  • Mais qu'est-ce qui a!!??
  • Y'est mort.
  • Y bouge tu!?
    Le gars donne un autre coup de pied.
  • Non, y bouge pas.
  • Qu'est-ce qu'on fait?
  • J'sais pas, appelle la police...
  • C'est quoi le numéro?
  • Bah, j'sais pas...Fait le 911.
    L'autre prend son cellulaire et compose le 911.
  • Ouais! Bah y a un gars qui est mort..J'sais pas, y bouge pu...Où on est? Sur le bord du chemin...Bah, j'sais pas le nom de la route : on est à pieds. Bah là, j'peux pas aller jusqu'au prochain stop...C'est ben trop loin...Ça fait 35 minutes de marche...Bah là...
    Le gars s'approche de l'autre et raccroche le téléphone.
  • Qu'est-ce tu fais!!??
  • J'travaille demain.
  • Voyons donc! On est pas pour le laisser là!!
  • Pourquoi pas, y'est mort, y bouge pu.
  • Bah voyons donc toé!
  • Fais c'que tu veux, si tu veux passer la nuite icitt toé, c'est ton affaire. Moé, j'travaille demain.
  • Bah voyons donc! Tu voué ben! Y bouge pu!
  • Ouin pis, moé faut que je rentre demain, qui bouge ou qui bouge pas.
  • Bah là...Ça se fait pas...
  • Moé, j'dirais rien, inquiète toé pas.
  • Bah, c'est pas la question...
  • C'est quoi la question?
  • Bah là, là...Y'est mort! La mort, c'est terrible!
  • Ouais, la mort c'est terrible. J'ai un ami qui est mort et je ne l'ai plus jamais revu.
  • C'que t'es con!
  • Hahahahihi!!!
  • Pas croyable d'être con de même!!
  • Hihihahah!!
    Ils sont tous les deux hilares et se tapent sur l'épaule.
  • Te rappelle de Nadia? La petite blonde au bar!?
  • Ben entendu! Comment oublier ça!!
    Ils partent.

Pierrot, le petit pirate chauve

Chaque chose en son temps et les moutons seront bien gardés, voilà ce que me disait mon père, fameux couillon canadien. À l’époque, jadis, il vivait sur un navire déglingué, aménagé sans art, dépouillé, moribond et puant, du genre grosse poubelle maritime. Ce navire avançait tranquillement, on le voyait venir de loin, avec ce flegme mortel, cette agonie turlupine, ses hauts et ses bas, suivant la houle. Mon père travaillait aux chaudières, avec Pierrot, un petit pirate chauve et malodorant, très mal embouché, de plus. On racontait qu’il était le fruit d’une union bestiale entre une chèvre et un dindon, mais personne n’avait jamais su. Un jour, on avait demandé à Pierrot. Il avait craché par terre en grognant. Alors, Paul, un gueux martiniquais, avait annoncé la soupe et tous s’en allèrent aux cuisines pour jouer aux dés, en attendant. Mais Pierrot le petit pirate chauve était resté où il était, avec mon père, qu’il appelait Gros Louis, mais qu’il prononçait effectivement «grolui». Il crachait comme un vietnamien en vacance à Cuba, après avoir passé la nuit à fumer des cigares. Les voyageurs sont comme ça, ils veulent se dépayser le plus possible; et les orientaux, ils ne mangent que des herbes et des cochonneries de même, disait Pierrot. Mon père, durant ce temps, allait dans sa cabine se masturber avec des revues pornos. Lorsqu’il revint, Pierrot discourait toujours et mon père se tint là, à côté, et l’écouta silencieusement. Pierrot disait des choses incompréhensibles, la plupart du temps, une sorte de charabia sans queue ni tête qu’il prétendait de source sûre. Personne ne l’avait jamais cru ni même compris, parce que Pierrot parlait très mal, et, en mer, même si on imagine le contraire, il y a beaucoup de bruit. Gros Louis, en son cervelet, avait conçu que l'équipage courait à la catastrophe, il imaginait que tout allait chez le diable, que le bateau se décomposait, etc. Il suait comme un porc et avait une de ses fréquentes crises d'angoisse. «Tout sonne la ferraille, on dirait que le bateau se tort et qu’il va fendre, Pierrot. Ne trouves-tu pas que la chaudière surchauffe, Pierrot. O Pierrot, nous allons mourir.» Mais Pierrot n’entendait rien. Il avait les oreilles crasseuses et il se tenait près des moteurs, dans la cale noire. On entendait les autres gueuler comme des cinglés leurs mots d’esprit, à table, en haut des escaliers de fer dépeints. L’esprit des gens de cette sorte est différent de celui des autres gens d’une autre sorte. Ils aiment bien extrapoler avec des matériaux recyclés. Ils entendent des choses, pas toujours très édifiantes ou intéressantes, et ils s’en servent pour analyser et commenter les sujets du jour, comme cette journée-là où le sujet s’était arrêté sur la puanteur de la grande calis de gueule à Fernand, dit le polichinelle indien. Certains soutenaient que son odeur provenait en fait de sa barbe abondante où avait pu fermenter toutes sortes de condiments, condiments qu’on énumérait, tentant de ne pas en oublier un depuis le dernier départ. «Ça sent les oignons et la moutarde. Ça sent comme ma tante qui ne se lavait jamais.» Le gros Fernand, dit le polichinelle indien, sortit en pleurant et descendit rejoindre mon père et Pierrot, le petit pirate chauve. Mon père disait, toujours paniqué : «c’est humide Pierrot, c’est trop humide; ma parole, la coque doit être brisée et nous coulons; Nous COULONS!» Ce à quoi rétorqua Pierrot : «grolui depa te de rt grgrgrg?» et il cracha. Le gros Fernand pleurait comme un veau, tout recroquevillé sur lui-même, comme un gros enculé. Mon père monta sur le pont et gueula : «nous coulons! nous coulons!» À la table, on parlait du gros Fernand qui puait comme tous les diables et on se moquait de son gros postérieur, qu’on avait vu fort poilu, aux douches. Cela blessa profondément le gros Fernand, dit le polichinelle indien, qui entendit la chose de la cale; aussi il quitta Pierrot le petit pirate chauve et alla se jeter à la mer, sur le pont, juste à côté d'où se tenait Gros Louis, mon père, espérant que ce dernier le retienne de commettre l’irréparable. Ce ne fut pas le cas. «Voyez, plus d’oiseaux, plus d’espoir, nous allons périr; Tout est fini! FINI! Déjà je vois les cheminées rougir, elles sont rouges! ROUGES! C’est la fin; Au secours! Aidez-nous!» Le Gros Louis courait comme un taré de long en large, tout en sueurs. Les autres connards, les marins qui dinaient, ne l’écoutaient plus. Tous les soirs c’était la même chose. On voulait le débarquer au prochain port. Et maintenant que le polichinelle indien n’était plus, on se mettrait sûrement sur le cas du Gros Louis. On entendit roter bruyamment. On riait. On parlait de Nana, la pute ivrogne qui n’avait plus de dents. Elle aurait été une fameuse cochonne. Pierrot le petit pirate chauve se racontait à lui-même comment il avait perdu son chapeau sur la mer des caraïbes, lors d’une journée de grand vent : «hegvioa hfpq fgoqeygyir», dit-il en gémissant. Le Gros Louis finit par redescendre rejoindre Pierrot. «C’était une fausse alerte, tout va bien… Du reste, je n’ai pas peur; je m’en tabarnak; je resterai ici, même si le bateau coule; cette bande de couillons se noiera, c’est pas mon problème, Pierrot, m’entends-tu? J’ai essayé de les avertir.» Pierrot répondit, en se brassant les couilles : «yerwoy ieyowr grolui»; et il continua à discuter avec lui-même sur un sujet inconnu. Le Gros Louis alla s’ouvrir une bouteille de gros gin et il avala le contenu avec une rapidité surprenante. Il allait s’endormir lorsqu’il vit Pierrot, le petit pirate chauve, se lever pour chanter l’Ave Maria de Schubert. Le Gros Louis ne connaissait pas cette chanson, mais il fut surpris d’entendre Pierrot crier en latin. Qui d’autre n’aurait pas été surpris? Mais, qu’est-ce qui te prend? «Qu’est-ce que tu fous?» Pierrot continuait à chanter, le regard au loin. Aux cuisines on avait cessé de gueuler; on écoutait aussi ce chant étrange et on se demandait d’où il pouvait provenir. Moi je dis que c’est cette grosse cochonne pas de dents qui chante dans une cabine; cette salope est tellement chaude qu’elle doit s’être embarquée comme passager clandestin juste pour se faire mettre. Moi je dis que c’est le vent qui sille dans les mâts. J’ai entendu un gars qui racontait la même chose au sujet des mâts et c’était un connard. Tu veux dire Ti Jean Lépine. Non gros épais. Burp. Jte parle de Bertrand la Poche. Mais voyons donc, t’sais ben qui dit n’importe quoi, lui. Ta gueule gros innocent. Mon t’en faire un gros innocent, espèce de sac à marde. Essaye donc pour voir. Burp. J’va t’en crisser une, mon tabarnak. Essaye donc, gros cave. M’a t’en faire un gros cave. Fais moé s’en donc un, voir. M’a t’en faire un. Burp. Fermez donc vos gueules, gang d’épais. Tu vois ben que c’est lui qui charche le trouble. Bah c’est ça, c’est moé, tsé. Avec ta maudite face, mon calvaire. Aye. Pierrot s’était tu, le calme revenait. Le Gros Louis regardait toujours Pierrot le petit pirate chauve, sans bouger. Pierrot, qu’est-ce que tu fais. Fuiuwey vfiau uirehq grolui, dit Pierrot. Écoute Pierrot, comment je te dirais ben ça… Soudain, Pierrot recommença à chanter. Le Gros Louis regarda la fournaise, il crut un moment qu’il y avait le feu et que tout le monde allait mourir, mais il se ravisa et se coucha sur le dos, sans bouger. À la cuisine, on en vint à croire qu’il s’agissait d’une sirène sifflant ses envoutements sous les allures d’une chanson. J’ai connu un gars qui connaissait le latin, c’est la langue des affaires magiques, cette langue-là. Vas-tu fermer ta grand gueule? Connais ça plus que toé, sais-tu toé c’est quoi le latin. Burp. Toé pis tes astis chirènes, la semaine passée tu nous cassais les oreilles ake ça. Ouin. Il nous casse toujours les oreilles, ce maudit moron là. Ouin. Bah, faites qu’est-ce que vous voulez, mais moi je crisse mon camp d’icite avant de me faire ensorceler par c’t’affaire là. T’es pas sérieux? Tu vas voir si je suis sérieux. Alors le marin se lève lentement, regarde tous ses compagnons et se lave la bouche avec sa serviette, qu’il redépose tout doucement. Regarde moé ça. Maudit qui est innocent. Le marin sort et va découvrir un canot de sauvetage. Les autres montent sur le pont. Où c’est que tu vas aller, osti de cave? Il veut juste nous impressionner. Il ne partira pas. Le marin embarque dans le canot et tourne la manivelle qui fait descendre celui-ci, sans porter attention à ses compagnons. Osti qu’il est cave, ce gars là. Je vous l’avais dit que c’était un gros plein de marde. Le marin est à la mer, dans son canot, et s’éloigne en ramant sans précipitation. Les autres marins se regardent; les plus proches des canots commencent à les découvrir furtivement. Sans qu’un mot ne soit échangé, ils se mettent tous à descendre les canots frénétiquement, au terme d’une sorte de crescendo d’activités. Tous sont maintenant partis, sauf Pierrot le petit pirate chauve et le Gros Louis, qui dormait, à ce moment, au fond de la cale. Pierrot cessa de chanter et mit un grand coup de pied au Gros Louis, qui bava par terre un long filet, avant de se mettre à dégueuler comme un porc sur lui-même. Pierrot dit : eghqoiu qgriop balbyr grolui. C’est ainsi que mon père, le Gros Louis, rencontra Pierrot le petit pirate chauve et qu’il put en conserver un souvenir persistant.