Fabrication de textes

jeudi 25 août 2011

Les Démons

M. Louis était chez lui, comme d’habitude. Il regardait, par la fenêtre, les passants; il ne faisait rien de particulier. Il était troublé secrètement par une nouvelle qu’il venait de lire, une œuvre fantastique qui l’avait un peu trop pris. L’histoire de fantômes l’avait conduit à perdre toute forme de rationalisme, il avait peur, il cherchait la compagnie de l'espèce, faisant ainsi faux bond à la coutume entourant ces êtres maléfiques, lesquels attaquent toujours leurs victimes dans un cadre isolé. À force de lire, il avait noté ce trait caractéristique et on ne le prendrait pas à ce jeu, si d’aventure un spectre ou tout autres créatures venaient l’embêter. Il guettait donc un regard qui, sans être bienveillant, puisqu’il est commun, ne serait du moins pas tout à fait malveillant. La rue grouillait de gens; il estimait pouvoir se détacher de la fiction qu’il venait de consommer. Ne prenant aucun risque, car M. Louis était un homme prévoyant, il s’assura qu’il n’y avait rien de tapi dans le noir, derrière lui, comme cela advient toujours, pour le prendre par surprise. Il se livra donc à une fouille en règle des endroits propices à servir de cachette secrète aux spectres dérangés, en manque d’attention ou faisant l’objet d’une malédiction quelconque les poussant à venir troubler les âmes solitaires comme lui. Il s’appuya contre le cadre de la fenêtre, tourna le dos au midi torride, et établit un plan systématique d’inspection. Longuement, il considéra l’appartement suffoquant et mystérieusement sans intérêt. M. Louis songea que son logis ne lui avait jamais semblé aussi dénué d’intérêt, il se demanda même pourquoi il y avait vécu si longtemps. Il fit rapidement le calcul de son loyer et parvint à la conclusion qu’il pouvait se payer mieux. Ses yeux, maintenant fixés sur l’armoire, cachaient le défilement ininterrompu de ses souvenirs relatifs à cette période où il signa pour la première fois ce bail, qu’il renouvela jusqu’ici. Il se rappela des temps difficiles où il ne se nourrissait que de pâtes alimentaires nappées de soupe aux tomates. Il se disait qu’il aurait pu ajouter de la poudre d’ail, que cela aurait rendu le tout moins dégueulasse. Toute cette malheureuse période lui revenait en tête et il constatait avec amertume qu’il aurait été en mesure de modifier ses comportements, pour son plus grand bénéfice. M. Louis était un homme porté à de telles réflexions, car il avait la faculté de concevoir que tout était possible, en définitive; là où d’autres ne percevaient aucune alternative, lui entrevoyait des milliers de possibilités. Toute fantaisie lui semblait plausible; il se disait «après tout, il ne pourrait s'agir que d'une occurrence tout à fait exceptionnelle, mais possible». Voilà où l’avaient mené toutes ces années de confinement misanthropique. M. Louis se disait qu’il était un artiste et que les artistes pouvaient se permettre d’être fantaisistes. En effet, M. Louis avait fait de la peinture dans sa jeunesse; sa mère aimait beaucoup ce qu’il faisait et, à l’école, on lui disait qu’il avait un «indéniable talent». Toutefois, M. Louis ne faisait plus rien, sous prétexte d’écrire un livre. Et, comme ça, son esprit le menait d'un sujet à l'autre sans discontinuer, mais ce qui devait arriver arriva: un monstre tout à fait odieux sortit de son placard, sans aucun préambule. Émergeant de l'état d'hébétude profond, où sa pensée l'avait plongé, il prit soudainement conscience de sa situation insolite, tout en n’en croyant pas ses yeux. Mais la créature, des plus hideuses et nauséabondes, s’avançait, menaçante, vers l’endroit où il était, avec ce pas hésitant et cet air peu jovial qu'ont les créatures surnaturelles, telles qu'il se les imaginait. Sans perdre une seconde, il contourna l'être maladroit et se précipita dans la cage d'escalier, afin de rejoindre les passants et de briser son isolement, stratégie qu'il avait déjà déterminée plus tôt. Mais, quelle ne fut pas sa surprise, lorsque, dehors, il vit toute une horde d'individus aussi peu normale que le gros monstre gémissant qu'il venait de quitter. Dans cette fâcheuse situation, il ne savait trop quel parti prendre; il était encerclé. Comme cela lui semblait désagréable de se faire manger là. Tout amer et prostré, il attendait qu’on le dévore, se nourrissant des idées les plus noires. Tout à coup, il ressentit un choc, quelque chose venait de le heurter et faisait de petits bonds. C’était un ballon qui rebondissait à ses pieds, produisant un petit bruit sourd et répétitif. Il leva la tête et comprit qu’il venait d’interrompre une partie de ballon-chasseur et qu'on l'invitait à s'y joindre. Quelque peu perplexe, M. Louis empoigna le ballon, tout en considérant cet entourage inhabituel. Voyant la lourdeur de leurs mouvements, M. Louis se dit à lui-même qu’il sera facile d’en finir et d’écraser ces crétins. Un de ses adversaires lança une phrase inintelligible, que M. Louis traduisit librement par « envoye-la ta guernotte », ce qui l’irrita, car il était orgueilleux. Il crut discerner un sourire narquois dans le visage de la créature, laquelle se balançait de gauche à droite, comme une antenne sotte un jour venteux. Alors, il s’élança et projeta le ballon de toutes ses forces, droit sur le visage du zombie provocateur. La tête dudit zombie se détacha, puisque les tissus et organes de ces créatures sont, semble-t-il, fort délicats, dans l’état de décomposition où ils sont. Le corps sans tête prit la fuite à tâtons et on ne le revit plus jamais. Voyant cela, les copains du malheureux monstre émirent une sorte de grognement contrit, jusqu’à ce que M. Louis leur dise de «se grouiller, bande d’enculés», sous prétexte qu’il avait un rendez-vous à seize heures, ce qui était tout à fait faux. M. Louis constatait sa supériorité et il fit un vrai carnage. Lorsque le compte fut de 11-0, les créatures se détournèrent de l’aire de jeu. M. Louis protesta quelque peu, sans grande conviction, mais finit par serrer la main de ses adversaires, les congratulant généreusement. M. Louis leur déclara que l’important était de participer, ce à quoi les autres réagirent par un vague grognement, que M. Louis interpréta librement dans le sens d’un enthousiasme partagé pour son esprit sportif.

2 commentaires:

  1. Une nouvelle dans le style de la croquette mongole. Quoi que l'on puisse dire, ton style est quelque peu plus travaillé qu'à l'époque! ;)

    Maxime

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  2. Merci Max pour ton commentaire et merci d'avoir passé faire ton tour!
    a+

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