Fabrication de textes

dimanche 15 avril 2012

Trois pages sur ma thèse



Sincèrement, j’ignore la réponse à la question de savoir ce que je projette de faire dans le cadre de ma thèse. Je dirais même que la question me semble tout à fait insipide. Il me semble que tout créateur veut faire un chef-d’œuvre, tout simplement. Donc, je voudrais écrire le premier chef-d’œuvre de la littérature québécoise.

La partie création visera donc à faire entrer un texte littéraire d’ici, ancré dans notre réalité, en dialogue avec les littératures d’ailleurs et de toutes les époques. Il tentera donc d’être universel, de présenter ce qui est commun à tous les hommes. Il devra par conséquent dépasser les déterminations et codes culturels.

Le texte cherchera à donner forme à ce qui est spécifiquement littéraire. J’entends par là qu’il tentera d’exprimer ce qu’aucun autre discours (politique, scientifique, etc.) existant ne peut exprimer. Ainsi que ce qui fait la spécificité de l’art, c’est-à-dire un bel objet. Ce sera donc un discours, articulé en langue naturelle, répondant à un projet esthétique, une idée de la beauté.

Je ne connais pas encore le contenu spécifique de ce discours, mais j’entends qu’il rende compte de la réalité québécoise contemporaine tout en la dépassant. Il voudra véhiculer une certaine vérité, c’est-à-dire la possibilité pour le lecteur de se reconnaitre dans le texte. Il faudra donc rendre compte des différents filtres de la perception, pour l’être à l’ère du multimédia, tout autant que l’expérience du temps qui l’accompagne.

La culture informatique et télévisuelle nous permettant d’emprunter différents points de vue, différentes positions dans l’espace, le texte se fera un devoir de varier les composantes discursives, produisant une représentation aussi fluctuante dans ses points de vue. L’observateur, le narrateur, ne sera pas contraint à un immobilisme physique et psychologique, mais entrainera le lecteur dans son mouvement, lui faisant faire une expérience du temps, du changement.

La vérité de ce procédé réside évidemment dans l’expérience que fait tout homme de la réalité qui l’entoure, à différents moments de sa vie, avec un bagage culturel tout aussi fluctuant. Il s’agira de représenter la complexité du monde, ses contours baroques, afin de pouvoir s’en émerveiller, comme l’homme de l’Antiquité ou de la Renaissance. Je chercherai à trouver ce qui est spécifiquement beau (ce qui plait) à notre époque.

L’entreprise ne tendra nullement à un retour ou une apologie d’un temps perdu ou d’un idéal du passé, sorte d’âge d’or inatteignable. Le projet esthétique voudra au contraire s’avancer résolument vers l’avenir, vers l’inconnu, vers une nouvelle sensibilité, un nouveau regard. Il s’agira, comme à l’époque des présocratiques, d’interroger le monde qui nous entoure brutalement, sans que l’appareil discursif ne tombe dans les mécanismes ordinaires de description ou de compréhension.

Toute l’attention sera donc mise sur le discursif, puisqu’il conditionnera la représentation que le lecteur se fera du monde du texte. Il faudra insuffler ce dynamisme versatile, ce mouvement et cette intention dans le discours pour que le lecteur ressente cette ivresse baroque du monde qui lui est présenté, pour qu’il puisse s’émerveiller devant les choses les plus ordinaires du monde du texte et, par extension, du monde qui l’entoure.

La pertinence de ceci repose sur l’a-priori que la nature recèle toujours des mystères pour l’homme, même à notre époque. On dirait que notre temps a singulièrement renoncé à s’interroger  et à s’émerveiller devant la nature. Peut-être est-ce le signe d’une société qui s’organise et se complexifie. Nous avons tellement d’institutions et de hiérarchies qu’il nous suffit qu’un spécialiste vienne aux nouvelles pour que nous ayons l’impression d’avoir fait le tour d’un sujet. Même, il n’y a qu’à voir comme les intellectuels universitaires se rallient systématiquement à l’autorité dans le domaine. J’ai rarement vu coexister plusieurs conceptions durant mes études, alors qu’il y en a.

C’est là ce que la forme cherchera à exprimer, produisant, je l’espère un spectacle de légèreté et de liberté visant à plaire. Malgré toutes ces conceptions et leurs prétentions, mon premier souci sera que mon texte plaise à tout le monde, immédiatement, et, si possible, à toutes les époques. D’un point de vue plus pragmatique, j’aimerais que, si je laisse trainer ma thèse sur une table et qu’un cuisinier ou un sondeur le prenne, il le lise jusqu’à la fin et qu’il aime ça. Je ne veux pas écrire un texte d’universitaire, comme si l’université était un monde à part, indépendant et autotélique. Si l’université ne parle plus à personne sauf à elle-même, c’est qu’elle a failli à sa mission, qu’elle ne s’inscrit plus dans la société et n’est plus utile pour celle-ci. J’ai une position très humaniste là-dessus et, puisqu’il m’est donné d’appartenir à cette institution, j’entends exprimer et défendre ma position, tout aussi valide, institutionnellement parlant, que celles de mes consœurs et confrères.

Pour finir, la partie théorique de ma thèse se voudra une réflexion esthétique et poétique sur ma production. J’emprunterai probablement encore (comme dans mon mémoire) le relai de la philosophie idéaliste pour tenter de comprendre le mécanisme de la représentation chez l’homme. Cela dans le but de programmer la représentation de l’œuvre dans l’esprit du lecteur et ainsi orienter tout l’appareil discursif de la narration.

Peut-être irais-je encore du côté de la philosophie kantienne, dont je m’étais déjà servi dans mon mémoire, ou encore du côté de la philosophie herméneutique de Paul Ricoeur.

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