Sincèrement, j’ignore la réponse à la question de savoir ce
que je projette de faire dans le cadre de ma thèse. Je dirais même que la
question me semble tout à fait insipide. Il me semble que tout créateur veut
faire un chef-d’œuvre, tout simplement. Donc, je voudrais écrire le premier
chef-d’œuvre de la littérature québécoise.
La partie création visera donc à faire entrer un texte
littéraire d’ici, ancré dans notre réalité, en dialogue avec les littératures
d’ailleurs et de toutes les époques. Il tentera donc d’être universel, de
présenter ce qui est commun à tous les hommes. Il devra par conséquent dépasser
les déterminations et codes culturels.
Le texte cherchera à donner forme à ce qui est
spécifiquement littéraire. J’entends par là qu’il tentera d’exprimer ce
qu’aucun autre discours (politique, scientifique, etc.) existant ne peut
exprimer. Ainsi que ce qui fait la spécificité de l’art, c’est-à-dire un bel
objet. Ce sera donc un discours, articulé en langue naturelle, répondant à un
projet esthétique, une idée de la beauté.
Je ne connais pas encore le contenu spécifique de ce
discours, mais j’entends qu’il rende compte de la réalité québécoise
contemporaine tout en la dépassant. Il voudra véhiculer une certaine vérité,
c’est-à-dire la possibilité pour le lecteur de se reconnaitre dans le texte. Il
faudra donc rendre compte des différents filtres de la perception, pour l’être
à l’ère du multimédia, tout autant que l’expérience du temps qui l’accompagne.
La culture informatique et télévisuelle nous permettant
d’emprunter différents points de vue, différentes positions dans l’espace, le
texte se fera un devoir de varier les composantes discursives, produisant une
représentation aussi fluctuante dans ses points de vue. L’observateur, le
narrateur, ne sera pas contraint à un immobilisme physique et psychologique,
mais entrainera le lecteur dans son mouvement, lui faisant faire une expérience
du temps, du changement.
La vérité de ce procédé réside évidemment dans l’expérience
que fait tout homme de la réalité qui l’entoure, à différents moments de sa
vie, avec un bagage culturel tout aussi fluctuant. Il s’agira de représenter la
complexité du monde, ses contours baroques, afin de pouvoir s’en émerveiller,
comme l’homme de l’Antiquité ou de la Renaissance. Je chercherai à trouver ce
qui est spécifiquement beau (ce qui plait) à notre époque.
L’entreprise ne tendra nullement à un retour ou une apologie
d’un temps perdu ou d’un idéal du passé, sorte d’âge d’or inatteignable. Le projet
esthétique voudra au contraire s’avancer résolument vers l’avenir, vers
l’inconnu, vers une nouvelle sensibilité, un nouveau regard. Il s’agira, comme
à l’époque des présocratiques, d’interroger le monde qui nous entoure
brutalement, sans que l’appareil discursif ne tombe dans les mécanismes
ordinaires de description ou de compréhension.
Toute l’attention sera donc mise sur le discursif, puisqu’il
conditionnera la représentation que le lecteur se fera du monde du texte. Il
faudra insuffler ce dynamisme versatile, ce mouvement et cette intention dans
le discours pour que le lecteur ressente cette ivresse baroque du monde qui lui
est présenté, pour qu’il puisse s’émerveiller devant les choses les plus
ordinaires du monde du texte et, par extension, du monde qui l’entoure.
La pertinence de ceci repose sur l’a-priori que la nature
recèle toujours des mystères pour l’homme, même à notre époque. On dirait que
notre temps a singulièrement renoncé à s’interroger et à s’émerveiller devant la nature. Peut-être
est-ce le signe d’une société qui s’organise et se complexifie. Nous avons
tellement d’institutions et de hiérarchies qu’il nous suffit qu’un spécialiste
vienne aux nouvelles pour que nous ayons l’impression d’avoir fait le tour d’un
sujet. Même, il n’y a qu’à voir comme les intellectuels universitaires se
rallient systématiquement à l’autorité dans le domaine. J’ai rarement vu
coexister plusieurs conceptions durant mes études, alors qu’il y en a.
C’est là ce que la forme cherchera à exprimer, produisant,
je l’espère un spectacle de légèreté et de liberté visant à plaire. Malgré
toutes ces conceptions et leurs prétentions, mon premier souci sera que mon
texte plaise à tout le monde, immédiatement, et, si possible, à toutes les
époques. D’un point de vue plus pragmatique, j’aimerais que, si je laisse
trainer ma thèse sur une table et qu’un cuisinier ou un sondeur le prenne, il
le lise jusqu’à la fin et qu’il aime ça. Je ne veux pas écrire un texte
d’universitaire, comme si l’université était un monde à part, indépendant et
autotélique. Si l’université ne parle plus à personne sauf à elle-même, c’est
qu’elle a failli à sa mission, qu’elle ne s’inscrit plus dans la société et
n’est plus utile pour celle-ci. J’ai une position très humaniste là-dessus et,
puisqu’il m’est donné d’appartenir à cette institution, j’entends exprimer et
défendre ma position, tout aussi valide, institutionnellement parlant, que
celles de mes consœurs et confrères.
Pour finir, la partie théorique de ma thèse se voudra une
réflexion esthétique et poétique sur ma production. J’emprunterai probablement
encore (comme dans mon mémoire) le relai de la philosophie idéaliste pour
tenter de comprendre le mécanisme de la représentation chez l’homme. Cela dans
le but de programmer la représentation de l’œuvre dans l’esprit du lecteur et
ainsi orienter tout l’appareil discursif de la narration.
Peut-être irais-je encore du côté de la philosophie
kantienne, dont je m’étais déjà servi dans mon mémoire, ou encore du côté de la
philosophie herméneutique de Paul Ricoeur.
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